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Programme EQUILIBRE ( Emergence 2020-2022)

Publié le 13 juin 2021 Mis à jour le 12 décembre 2022

Le projet Equilibre est coordonné par Henri Galinon (lauréat appel Emergence 2020-2022). Un programme financé par l'université Clermont Auvergne.

L'équilibre est une propriété qui qualifie un arrangement d'éléments qui se soutient de lui-même. La force et la difficulté de la notion d''équilibre comme "ce qui tient tout seul" est qu'elle semble relever à la fois d'une pensée de relation et d'une pensée de la constitution : parce qu'il se soutient lui-même, l'équilibre est constitutif d'une unité ou d'un ordre, mais il s'agit d'un ordre immanent à la pluralité de ses constituants, dont la description n'appelle pas de référence à une intention, une volonté ou des forces extérieures à celles en jeu dans la relation des éléments en présence. Réciproquement il semble qu'une pensée qui mette au cœur de ses efforts de représentation du monde l'idée d'équilibre soit d'abord, pour le dire vite et en première approche, une pensée de la relation et de l'immanence plutôt que de la substance et de la transcendance.
 La notion d'équilibre, avec son degré de généralité, n'est pas une notion consacrée des études philosophiques. Les historiens lui ont préféré les déterminations plus précises qui jalonnent l'histoire des systèmes (p. ex. la symétrie, l'harmonie, la nature, la  justice, etc. ) sans qu'il ait jusqu'à présent été jugé fécond de dégager la notion générale d'équilibre et d'y consacrer une étude à part. Il n'est pourtant pas impossible que le moment d'une telle tentative soit venu. 
Tout d'abord la notion d'équilibre est devenue centrale dans la représentation scientifique du monde. Historiquement, cette importance des descriptions et explications en termes d'équilibre a été le produit - et souvent le moyen - de la "naturalisation" progressive des sciences qui a suivi celle de la physique moderne. Aujourd'hui les équilibres sont descriptivement et méthodologiquement centraux non seulement en physique, mais également dans les sciences de la vie (en particulier en écologie), en géographie physique, en économie et dans les sciences humaines et sociales en général. Dans le cours de ces développements, le registre des équilibres s'est considérablement étoffé, tant dans la variété de ses formes (de l'équilibre statique d'un petit système isolé des débuts aux équilibres dynamiques complexes contemporains), que dans la nature des éléments constituants (des corps solides massifs de la physique newtonienne, aux agents intentionnels de la théorie économique des jeux).
Deuxième motif d'intérêt philosophique, la notion d'équilibre joue un rôle normatif, informel ou non, pour bon nombre de pratiques : dans la décision médicale et juridique, mais également dans les champs politique et éthique. Ce double constat des usages à la fois descriptifs et normatifs des équilibres semble être la contrepartie pratique de l'ambivalence de la notion évoquée en commençant - à la fois description d'une relation entre une pluralité irréductible d'éléments et critère constitutif d'une unité, d'un existant, d'un caractère "naturel". 
Un troisième motif enfin justifierait sans doute à lui seul d'entreprendre une réflexion philosophique sur les représentations du monde en termes d'équilibre :  l'interrogation que les nouvelles conditions écologiques font naître sur la façon dont nous avons conçu notre télos et notre condition historique depuis la modernité. Cette interrogation n'est certes pas nouvelle, la critique de la modernité est aussi ancienne que la modernité elle-même. Ce qui est nouveau c'est la force et l'universalité avec laquelle s'impose à notre époque de produire une pensée de type écologique - en un sens large - de la condition de l'humanité. Or toute pensée écologique est fondamentalement une philosophie de l'équilibre : chaque version définit les éléments que cet équilibre prend en compte, dit la forme qui doit être la sienne, et tente de penser dans ce cadre intégré la relation que le sytème de nos fins propres doit entretenir avec ce que nous rencontrons d'abord comme une contrainte ou source extérieure de normativité dans les limites que la "nature" nous imposerait. Mais faut-il concevoir les équilibres au pluriel comme autant de possibilité d'états du monde à construire et parmi lesquels il faut choisir, ou l'idée d'équillibre nous renvoie-t-elle toujours ultimement à celle d'un ordre naturel qui transcenderait toute volonté et tout contrat. Les équilibres dans lesquelles il faut penser désormais notre propre existence ne sont-ils qu'une médiation de plus à intégrer en vue de la satisfaction de nos fins, un nouvel épicycle de la réalisation de nos désirs ;  ou faut-il repenser nos fins à la lumière de leur nécessaire régulation par une représentation d'un l'équilibre ; faut-il aller jusqu'à revenir sur l'idée que nous pourrions être les sources ultimes de nos propres fins et radicalement reconsidérer la représentation que nous nous faisons de notre condition historique ? Si la modernité a mis l'accent sur la source de finalité que l'homme était pour lui-même, et mis au premier plan de notre représentation de notre condition historique une certaine idée de progrès, la rencontre avec la contrainte écologique conduit à s'interroger sur ce que la composition avec les équilibres impose ou non d'inflexion à la continuation et aux termes du projet humaniste.
 
Ecologie, physique, économie, anthropologie, psychologie, histoire des religions mais également métaphysique, philosophie politique et morale, épistémologie, le programme Equilibre sollicite philosophes et scientifiques pour interroger les représentations du monde passées et présentes en termes d'équilibre, leur histoire, leurs usages contemporains, leur charge métaphysique et leurs effets normatifs. 


Séances du séminaire Equilibre :

  • Mardi 23 février 2021- 12h-14h30 - Guillaume Deffuant (LISC, INRAE) - "Equilibre, attracteur et noyau de viabilité dans deux définitions mathématiques de la résilience"

  • Mardi 9 mars 2021 -17h-18h30 - Antoine C. Dussault (CIRST, Montreal) - "Enjeux et perspectives en vue d'une théorie naturaliste de la santé des écosystèmes"

  • Mardi 23 mars 2021 - 13h-14h30 - Marc Goetzman (Université de Tel Aviv) - "Les équilibres producteurs de la confiance sociale"

  • Mardi 6 avril 2021 - 13h-14h30 - Pierre-Yves Quiviger (Université Paris-1) - "Une ontologie du droit comme équilibre"

  • Mardi 4 mai 2021 - 13h-14h40 - Philippe Huneman (IHPST, Paris) - "Les explications des équilibres : la perspective de l'explication structurale"

  • Mardi 18 mai 2021 - 13h-14h30 - Mikael Cozic (Université Lyon 3) - "Equilibre et rationalité en théorie des jeux"

  • Mardi 1 juin 2021 - 13h-14h30 - Mathilde Brémond (PHIER, U. Clermont Auvergne) - "L’équilibre des masses cosmiques dans la pensée grecque archaïque"

  • Mardi 15 juin 2021 - 13h-14h30 - David Lefebvre (Centre Léon Robin, Sorbonne Université, Paris) - "Aristote : équilibres et immobilité"