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Appel à contributions RMM
du 23 avril 2024 au 15 janvier 2025
La Revue de Métaphysique et de Morale lance un appel à contributions pour un numéro sur le thème :
L’équilibre : entre nature et norme
La notion d'équilibre n'est pas une notion consacrée des études philosophiques. On pourrait à ce propos reprendre à notre compte ce que l’historien des idées Joel Kaye notait en 2014 au sujet de la période médiévale :
« Malgré la place centrale occupée dans pratiquement toutes les disciplines médiévales […] par l’attention portée à l’équilibre, celui-ci n’a presque jamais été mis en avant comme sujet de discussion en soi. Il fut davantage un fondement omniprésent qu’un sujet identifiable à la pensée ; à ce titre sa considérable influence s’est exercée sous la surface de l’expression verbale et de la reconnaissance consciente. C’est pourquoi les historiens modernes n’ont jusqu’à présent pas été en mesure de comprendre que l’équilibre, dans la période médiévale (et même dans toutes les périodes), était un sujet en soi, pas plus que d’imaginer qu’il ait pu changer de forme au cours de l’histoire, en fonction des spécificités de différents contextes culturels. » (J. Kaye, Histoire de l’équilibre (1250-1375))
On étendrait en effet sans peine à l’histoire de la philosophie ces observations sur l’omniprésence de la notion d’équilibre, et l'on ajoutera que cette omniprésence mérite d’autant plus que l’on s’y arrête que les enjeux en sont peut-être plus actuels que jamais. Ce constat motive l'ouverture d'un dossier philosophique sur la notion d’équilibre, pour lequel nous invitons les personnes intéressées à soumettre leur contribution dans le cadre d'un numéro spécial de la Revue de Métaphysique et de Morale qui lui sera consacrée sous le titre "L'équilibre: entre norme et nature". Quelques éléments de mise en perspective sont proposés ci-dessous. Les détails pratiques de l’appel à contribution se trouvent à la fin.
Par équilibre, on entend surtout ici la qualification d’un genre particulier de relation susceptible de s’établir entre des éléments soumis à des forces qu’ils exercent les uns sur les autres. Les éléments en jeu peuvent être inanimés ou animés, concrets ou abstraits, et ces « forces » être naturelles, être l’effet des désirs et volontés d’agents animaux, humains ou divins, des tendances, des propensions ou des puissances inscrites dans la nature des choses, des idées, des personnes. Ce qui caractérise la relation d’équilibre entre les éléments en présence, c’est le fait que la composition des forces y détermine un rapport « robuste » entre ces éléments, robuste au sens où l’effet des forces telles qu’elles trouvent à s’appliquer aux éléments dans ce rapport est de maintenir ces éléments dans le rapport en question. Cette caractéristique amène en première analyse deux observations importantes pour appréhender le rôle conceptuel des équilibres. La première est qu’en nous représentant une certaine organisation du monde - ou l’organisation d’un système particulier d’objets - comme étant un équilibre, l’existence ou en tout cas la subsistance de cette organisation cesse d’être représentée comme l’effet de l’exercice d’une force qui la transcende, par exemple d’une volonté affranchie des contraintes qui s’exercent en son sein. En un mot l’équilibre est immanent - immanent à l’arrangement qu’il détermine - quoique transcendant à chacun des éléments qui le compose considérés individuellement. La seconde remarque est que le genre de stabilité propre à la configuration que réalise un équilibre nous la désigne comme un certain ordre. Ainsi, si l’invariance est une marque de l’objectivité, l’espèce d’invariance propre à la relation d’équilibre signe le caractère « objectif », voire « réel » et même parfois « naturel », de l’arrangement spécial dans lequel elle unit proprement les éléments en présence. Prises ensemble, ces deux observations préliminaires impliquent que, à l’équilibre, les choses sont dans leur ordre - dans l’ordre des choses.
Si les enjeux philosophiques attachés à la notion d’équilibre gagnent à être étudiés dans ses applications particulières, ces premières considérations, pour générales, lacunaires et sujettes à inventaire qu’elles soient, permettent d’éclairer deux points importants. Le premier point est que la notion d’équilibre, dans sa généralité, ait été à l’arrière-plan des grands projets historique de téléologie critique. Si l’ordre des choses n’est pas l’effet d’une idée du « bien » qui le détermine et le maintien de façon exogène, avons-nous dit, c’est un équilibre. Il n’est donc pas surprenant que les projets de naturalisation de nos descriptions du monde passent par l’élaboration de notions d’équilibre. Leur rôle dans l’histoire de la représentation scientifique du monde illustre bien ce point. Si historiquement, les descriptions et explications en termes d'équilibre ont été ubiquitaires dans la pensée antique, leur importance croissante depuis l’époque moderne a été le produit et souvent le moyen de la "naturalisation" progressive des sciences qui a suivi celle de la physique moderne. Aujourd'hui les équilibres sont descriptivement et méthodologiquement centraux non seulement en physique, mais également dans les sciences de la vie (par exemple en écologie), ou en géographie physique (par exemple dans l’étude de la morphogenèse des paysages), mais aussi et peut-être surtout dans les sciences humaines et sociales. En économie en particulier l’apparition des représentations en termes d’équilibres a été l’un des piliers de la revendication de sa scientificité au dix-neuvième siècle, et elles sont aujourd’hui plus centrales que jamais dans la recherche. Au cours de ce développement historique, le registre des équilibres s'est considérablement étoffé, tant dans la variété de ses formes - de l'équilibre statique d'un petit système isolé des débuts aux équilibres dynamiques complexes contemporains -, que dans la nature des éléments constituants et des forces à l’œuvre - des « éléments » de la pensée présocratique aux corps solides massifs de la physique newtonienne, et aux agents intentionnels de la théorie économique des jeux. Ces quelques indications témoignent que l’importance croissante des usages descriptif et explicatif des représentations de la nature en termes d’équilibre est un fait à la fois incontestable et remarquable qui mérite que l’on s’y arrête.
Le second point que ces quelques considérations générales initiales peuvent aider à éclairer, c’est celui de la valeur des équilibres et, avec elle, des effets normatifs des représentations en termes d’équilibre. De façon quelque peu abstraite, il semble en effet – toujours en première analyse - que l’on ne puisse vouloir la réalisation d’un état de choses qui ne soit pas un équilibre – que l’on en ait pleinement conscience ou pas -, tout autre genre d’arrangement étant incompatible avec les conditions de son propre maintien dans l’existence. Nous avons par conséquent besoin d’un concept d’équilibre pour penser de façon satisfaisante les normes auxquelles doivent répondre les situations qui sont visées par nos désirs et nos volontés. Ce rôle normatif et donc pratique de la notion d’équilibre trouve, lui aussi, de nombreuses illustrations dans l’histoire des idées et singulièrement de la philosophie. Elle opère classiquement dans le champ de la pensée juridique pour définir la notion de justice, dans le champ médical pour caractériser la notion de santé ou encore dans le champ biologique pour définir la notion d’organisme. En éthique on en reconnaît une version dans la théorie aristotélicienne des vertus aussi bien que dans la théorie humienne de la justice comme vertu artificielle. En épistémologie dans la notion kantienne d’organisme, ou encore dans la notion contemporaine d’équilibre réfléchi. En philosophie politique dans la notion rawlsienne de « société bien ordonnée », en philosophie des sciences sociales dans l’analyse des conventions, dans les analyses contemporaines des institutions et des normes sociales, ou encore en métaphysique dans l’analyse spinozienne de la substance et de la vie éthique.
L’idée d’étudier les équilibres sous l’angle de la recherche de sources de normativités et de repérer là où ils existent les formes et effets normatifs des représentations du monde en termes d’équilibre, n’a donc rien d’incongru. Historiquement, dégager et étudier les évolutions de la notion d’équilibre peut être philosophiquement fécond en donnant des clés de lectures nouvelles de certaines opérations philosophiques, de certaines continuités ou au contraire de certains décalages à l’œuvre dans les grands textes de la tradition philosophique et de l’histoire des idées. Une philosophie critique de la notion d’équilibre semble également répondre à des nécessités très contemporaines, auxquelles ce volume souhaite faire écho. La première de ces nécessités est de comprendre comment ce que l’on appelle « la crise écologique » contemporaine affecte la représentation que nous nous faisons de notre condition éthique et historique. Une pensée écologique est en effet fondamentalement une pensée de l'équilibre : chaque version définit les éléments que cet équilibre prend en compte, identifie les forces à l’œuvre, essaie de comprendre les limites que la composition de ces forces impose au développement des éléments en présence, et tente de repenser dans ce cadre intégré le système de ses propres fins. Ce basculement dans une représentation de notre condition dans laquelle nous ne sommes plus les architectes de notre destin mais des acteurs parmi d’autres d’un équilibre à la définition duquel nous ne faisons que contribuer, soulève des questions inédites, questions dont l’acuité est redoublée dans le contexte occidental d’inventaire de l’héritage des lumières, de sa conception historique du progrès illimité, de domination de la nature et de la portée universelle de son projet moral et politique. La montée en puissance de forces naturelles et sociales qui viennent limiter les libres développements du projet moderne nous invitent à nous interroger sur les inflexions que la nécessaire composition d’équilibres nouveaux impose in fine à la continuation et à la définition du projet humaniste. Ce que l’intégration de la notion d’équilibre à notre représentation de notre condition fera à la notion de progrès dépend sans doute en partie des réponses que nous donnerons à des questions classiques et d’apparence presque scolaires. Les équilibres sont-ils des artefacts, des constructions, ou sont-ils ultimement indexés sur un ordre naturel ? Sont-ils réels, sont-ils des fictions, ou encore des idées, l’objet d’une perception intuitive ? Le respect des équilibres, toutes choses égales par ailleurs, a-t-il une valeur morale ou est-il axiologiquement neutre ? etc. En résumé, la conviction qui anime ce projet est que les enjeux qui sous-tendent l’usage - scientifique, philosophique et politique- de la notion d’équilibre justifient un travail philosophique auquel ce dossier veut être une première contribution.
Le coordinateur de ce dossier, Henri Galinon (UCA, PHIER), invite toute personne intéressée à adresser un résumé de deux pages exclusivement à l’adresse : rmm@sofrphilo.fr, pour le 15 janvier 2025. Les résumés doivent être rédigés en français ou en anglais. Les auteurs seront ensuite invités à soumettre, au plus tard le 31 mai 2025, à la même adresse, une première version de leur manuscrit (environ 7 000 mots) pour évaluation par le coordinateur (en simple aveugle) et par un expert externe (en double aveugle).